Dans le monde d’après la crise, L’Europe peut être dominante. A condition de…
Comme le naufrage du Titanic, le 15 avril 1912, annonça l’engloutissement de la domination européenne dans la guerre de 14-18, la faillite de Lehman Brothers, en septembre 2008, ou la dégradation de la note des Etats-Unis par Standard & Poor’s signeront peut-être aux yeux de l’Histoire la fin de l’empire américain. Derrière la grotesque loterie bricolée par les agences de notation, dont les triples A, les + et les – nous promènent des cahiers de calligraphie de l’école maternelle aux concours de dégustation d’andouillettes, se joue le nouveau tempo de l’humanité. Le centre de gravité du monde se déplace, tout est possible.

Dans la brume matinale du XXIe siècle, un scénario éblouit déjà les prophètes à six sous et les géopoliticiens de l’évidence: le triomphe total de la Chine, posant un couvercle de bronze sur la marmite de la planète, avec des cheminées d’or entre Shanghai et Pékin. Après avoir envahi l’Occident avec l’infanterie de ses produits manufacturés, la Chine, profitant de la défaillance de son débiteur américain, va déployer sa cavalerie financière, jouer de sa monnaie comme d’une arme et sculpter dans sa planche à billets le sceptre de sa domination mondiale.
Chaque continent sera affecté à une tâche précise. L’Afrique ? Un gisement de matières premières. L’Europe ? Un musée à ciel ouvert. Les Amériques ? Des réservoirs de consommateurs. Le reste de l’Asie ? Un entrelacs de sous-traitants.
Première puissance mondiale, l’Europe unie pourra favoriser l’épanouissement des valeurs démocratiques et la gestation d’un Parlement mondial
Il est une autre voie pour l’avenir, dont chacun se gausse, par fatalisme et nihilisme mêlés: l’ascendant de l’Europe. Population, matière grise, richesses, infrastructures, stabilité démocratique, monnaie forte, protection sociale… Les muscles de l’Union, et notamment de la zone euro, sont puissants, accrochés à un squelette d’expérience et de sagesse calcifié par des siècles de grandeurs et d’erreurs. L’Europe n’a plus besoin ni d’envahir ni d’exploiter quiconque, et saura exercer un magistère d’influence et d’exemplarité. Première puissance mondiale, l’Europe unie pourra favoriser l’épanouissement des valeurs démocratiques et la gestation d’un Parlement mondial, instance d’arbitrage universelle et garant de la paix planétaire. Alors, on pourra parler de fin de l’Histoire, c’est-à-dire de fin du tragique.
Pour que l’Europe accomplisse ce destin, il suffit d’une volonté politique. Pas seulement celle des dirigeants, aujourd’hui petit bras et courte vue face à la crise, mais aussi celle des peuples. Il faut que tous les Européens, à commencer par les jeunes, s’arrachent aux douceurs lénifiantes du crépuscule, cessent de commenter leur déclin d’une plainte complaisante et chassent élus et intellectuels qui indiquent la route du cimetière. Dans cette compétition qui s’ouvre entre elle et la Chine, entre le doux leadership et l’hégémonie par la quantité, l’Europe a une chance sur mille de l’emporter ; c’est pourquoi il faut la tenter sans tarder.