L’équation Sarkozy par (Claude Imbert).

Devant un pays hanté par la crainte du naufrage, voici, en capitaine brave et bravache, Nicolas Sarkozy, tête d’affiche du grand théâtre national. Il est président sortant, et partout la crise dévore les sortants. Il est, dans les pronostics, largué loin de Hollande. Le handicap donne de quoi assurer le suspense ! A deux mois du scrutin, les intentions des électeurs maintiennent au-dessus du lot Hollande et Sarkozy. Pour les départager, on pense au rejet plutôt qu’à l’adhésion. Dans l’épais édredon des indécis des deux bords, nombre d’électeurs envisagent mollement Hollande pour écarter Sarkozy. Et d’autres mollement Sarkozy pour écarter Hollande. Le principal adversaire de Sarkozy, c’est encore l’homme Sarkozy. Et son principal atout, le socialisme de Hollande. Joker de la campagne : l’impopularité persistante de Sarkozy ! Ce que l’homme Sarkozy est, montre ou paraît hurle encore aujourd’hui plus fort que ce qu’il a fait ou prétend faire.

 Avec les images échevelées de son début de mandat, il trimballe une tunique de Nessus que n’ont pas arrachée des années vouées ensuite à l’austérité privée, aux bonnes lectures et aux films de ciné-club. L’énigme d’un tel noeud de nerfs et de neurones excite la comprenette des citoyens, les psychologies de comptoir et les dîners de famille. Est-ce que le narcissisme du bonimenteur et ses rodomontades laisseront percer dans l’épreuve finale le portrait d’un travailleur hors du commun, d’un patriote secouant trente années d’indolence nationale, d’un Européen impavide et d’un athlète rompu aux joutes internationales du temps de crise ? Mystère ! Le référendum pour ou contre Sarkozy écrase la présidentielle. L’impopularité lui est tombée dessus dans les premiers mois de son mandat. D’abord par l’exposition jugée intempestive de sa vie privée. Le vainqueur de l’Elysée fut dans le même temps un vaincu de l’amour (1). Cécilia était depuis vingt ans sa compagne, depuis quatorze ans son épouse : elle décide, deux mois avant l’élection, de le quitter pour un rival. Sarkozy vivra cette séparation douloureuse au beau milieu de son avènement à l’Elysée. La France, les yeux ronds, accompagne le roman d’abord dans le scrutin boudé par Cécilia, puis à la réception au Fouquet’s, organisée par elle, puis sur le yacht maltais, puis en Libye, aux Etats-Unis, où elle fait faux bond chez les Bush. Tout ce marivaudage d’échecs jusqu’au divorce d’octobre. Mais, deux mois plus tard, la France, les yeux écarquillés, apprend le coup de foudre pour Carla Bruni et se retrouve avec les tourtereaux chez Disney, puis en Egypte, puis en Jordanie.

 Flot d’images où Sarkozy, seul président à avoir divorcé, épousé et enfanté durant son mandat, promène son coeur d’abord en écharpe, puis en fête, entre micros et caméras… Comment Sarkozy n’a-t-il point senti la gêne monter dans l’opinion ? C’est, sans doute, un trait de sa nature. Dans une agitation d’idées vouée à l’instantané, son « moi » impétueux refuse tout surplomb. Il abolit le « surmoi » où gisent la cohérence, la convenance et la conscience d’autrui. Sarkozy se soumet, pour le meilleur et pour le pire, à l’énergie, à la vitesse et à l’ubiquité. Rare complexion ! Elle déconcerte, sans mériter pourtant le flot de railleries et d’insultes qui l’ont submergée. Elle engendre une politique buissonnière sans lisibilité populaire, faite de foucades et de ralliements de circonstance, abandonnés comme citrons pressés. Sarkozy plaide : « Voyez comme je vous ressemble… » Mais le bon peuple découvre qu’en ôtant la pompe à la présidence il en écorne la dignité. L’homme de la rue, imprégné de monarchisme républicain, veut-il qu’on lui ressemble ? Non ! Pour l’épreuve finale, Sarkozy décoche encore une salve de pétards séducteurs.

 Comme les promesses de Hollande, ils ne sont que poudre aux yeux. Car, au lendemain de l’élection, le président, quel qu’il soit, n’obéira qu’aux injonctions de la crise. Le reste s’envolera comme feuilles mortes. Pour finir, son bilan, réputé ingrat, le servira plus qu’on ne dit. La crise – que la polémique omet dans les bilans – a dévalué bien des promesses. Mais Sarkozy a enfoncé des portes cadenassées (retraites, universités, syndicalisme, justice, hôpitaux). Guide d’une France patraque, il aura malgré tout défendu l’initiative française en Géorgie, en Côte d’Ivoire et dans l’expédition risquée mais éclatante de Libye. Enfin, et contre le déchaînement de la crise elle-même, il aura entraîné la résistance internationale. Ce mérite lui est partout reconnu. La conclusion ne sera pas banale. S’il est battu, Sarkozy restera comme un malentendu, comme une étoile filante dans le miroir aux alouettes. S’il est élu, comme l’appariteur glorieux d’une nouvelle France… Choisissez !

Les commentaires sont désactivés.


© Copyright 02/2009 HettangePassion. Tous droits réservés.