Notre société est addictogène : une surconsommation qui tolère voire encourage l’abus ; un individualisme qui prône la performance et l’exigence de bonheur à tout prix ; le rôle de l’image et de l’apparence, l’importance de vivre dans l’immédiateté … Dans cette perspective, rien d’étonnant à ce que pour le seul mois de janvier 2009, l’association e-Enfance , ait enregistré plus de 30 appels de parents alarmés, impuissants devant les cas de dépendance aux jeux vidéo de leurs enfants.
On évoque souvent les dangers des jeux vidéo sans savoir de quoi on parle : s’agit-il de l’influence des images, de la violence, ou encore de la difficulté de démêler le réel du virtuel ? Aucune preuve pour répondre à cela. Pourtant, il existe bien un danger réel et omniprésent : la dépendance que cette nouvelle source de plaisir procure. Mais à partir de quand devient-on dépendant ? Et qui cela concerne-t-il? Le psychiatre Marc Valleur, chef de service de l’hôpital de Marmottan, à Paris, parle de dépendance « quand une personne veut arrêter une conduite sans pouvoir y arriver toute seule ». Et le Dr. William Lowenstein, addictologue et directeur de la clinique Montevideo à Boulogne Billancourt, relève 3 critères de dépendance : « quand on veut, mais qu’on ne peut plus s’arrêter ; quand on sait qu’on est en danger, mais que malgré tout on ne peut s’empêcher et quand l’arrêt produit un mal-être ». C’est à ce moment-là qu’il y a une perte de contrôle et qu’on s’échappe à soi-même. Ainsi, le joueur pathologique se caractérise par un besoin irrépressible et obsessionnel de jouer. Il passe alors très rapidement de l’usage à l’abus jusqu’à la dépendance. Or ce fléau touche en majorité les adolescents et les jeunes adultes, plus particulièrement les adeptes des jeux en réseaux multijoueurs sur internet ( MMORPG).
Ce qui va maintenir le joueur dans le jeu, c’est une volonté de se « réfugier dans le virtuel, pour éviter la réalité » note le Dr. Marc Valleur. Le jeu fait office de refuge face à une réalité que les adolescents ne veulent ou ne parviennent plus à affronter. ,Le Dr. Lowenstein souligne l’urgence à aller consulter un spécialiste pour suivre un traitement psychothérapeutique sans attendre car les conséquences peuvent être dramatiques. L’association S.O.S. Joueurs publie des chiffres à faire pâlir : « 96,6% des joueurs leurs familles sont endettés ; 15,7% d’entre eux divorcent ou se séparent de leur conjoint à cause du jeu ; 19,3% de joueurs ont commis un ou plusieurs délits… ». Il est fondamental de prendre en charge la dépendance et il existe des tests en ligne qui permettent de s’auto-évaluer comme celui du Dr. Mark Griffiths, de l’université de Nottingham Trent, pour qui il y a danger à partir de 4 réponses positives à ces questions :
– L’enfant joue-t-il tous les jours ?
– Joue-t-il souvent pendant de longues périodes ?
– Il joue pour l’excitation qu’il en retire
– Il est de mauvaise humeur quand il ne peut pas jouer
– Il délaisse les activités sociales et sportives
– Il joue au lieu de faire ses devoirs
– Les tentatives de diminuer son temps de jeu sont des échecs….etc.
S’il ne faut pas diaboliser les jeux vidéo – d’après une étude nord-européenne, environ 1% des joueurs seraient concernés par l’addiction – il convient néanmoins que les parents restent extrêmement vigilants quant à l’usage qui est fait du jeu ; ils doivent également veiller aux signes annonciateurs, tels que les troubles du sommeil, de l’alimentation, le repli social…et suivre les indications qui leur sont données, comme la classification PEG
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Les parents redoutent ce comportement alors qu’une étude montre qu’un excès d’écran favoriserait la dépression une fois adulte.
«C’est devenu LE sujet de conflit avec mon fils», raconte Christine, encore éberluée d’avoir dû affronter vivement son adolescent pour qu’il lâche après d’interminables heures son jeu en ligne : «Mais je ne peux pas arrêter, j’achète des armes, je vais perdre tout mon argent si je me déconnecte maintenant», hurlait-il excédé, avant qu’elle lui rappelle qu’il était «juste à la maison, et non dans son monde virtuel». Comme elle, des milliers de parents voient ces jeux de rôle absorber leurs enfants, dicter leur comportement, focaliser leur revendication. Près de 71 % des enfants jouent sur un écran et, parmi eux, 20 % s’adonnent à un jeu de rôle en réseau type World of Warcraft (WOW) ou Dofus. Un chiffre qui monte à un tiers pour les garçons. Et les conflits éclatentmaintenant dans les foyers autour de cette «nouvelle addiction», selon un sondage Ipsos réalisé pour eenfance, la semaine dernière.
Près de 41 %des parents trouvent que leurs enfants jouent trop longtemps sur leurs consoles, ordinateurs ou mobiles. Pour un quart des parents, ces jeux sont devenus la principale source d’affrontements, comme autrefois les sorties, ou encore la boisson ou le cannabis. Si beaucoup s’adonnent à la construction d’un personnage en dilettante, entre l’école, les devoirs et les copains, ils sont chaque jour plus nombreux à plonger dans cet univers, jusqu’à se relever la nuit.
Ruses sophistiquées
Soucieux des résultats scolaires de son fils, Louis, la quarantaine avisée, croyait avoir trouvé la solution, en verrouillant l’ordinateur familial avec un code : «Je me suis aperçu que mon fils craquait régulièrement ce code avec des instructions informatiques qu’ils se passent entre joueurs dans son réseau.» Au risque de l’explication houleuse, car l’effraction laisse des traces. D’autres déploient des ruses sophistiquées pour duper la surveillance familiale et se livrer à leur passion, comme Mathieu, 14 ans, élève brillant mais mutique, sauf lorsqu’il évoque ses épopées dans «sa guilde», ce groupe où il déploie un personnage de druide. Il a d’abord installé une caméra pour filmer sa mère à son insu et retrouver le code de l’ordinateur. Démasqué, il a alors déniché sur le Net un formulaire en anglais, détaillant comment prendre le contrôle duMac dont il est devenu l’administrateur. «Je suis dépassée», reconnaît d’ailleurs cette avocate. Tandis que son fils plaide non coupable : «On apprend plein de chose sur les plantes, on s’équipe, on progresse, on découvre des paysages et des gens. C’est l’activité la plus intéressante à notre âge.» Tout son argent de poche y passe.Progressivement, ces jeux de rôle en ligne grippent les relations familiales. «Au début, ils amortissent la crise d’adolescence», estime le psychiatre Michaël Stora. «Car au lieu de claquer la porte, les ados s’enferment dans leur chambre et se battent virtuellement.»Mais ces jeux sont chronophages. Pour pouvoir «progresser», il n’existe qu’une solution : passer le plus de temps possible. WOW, qui rassemble déjà 500 000 personnes en France, ne récompense que l’assiduité et non l’apprentissage.
Le bras de fer entre les générations est engagé. Désormais au sentiment d’être dépossédé de sa progéniture, s’ajoute un enjeu de santé. D’autant que la recherche médicale est venue nourrir l’appréhension. Une première étude américaine, publiée par des chercheurs de la faculté de médecine de l’Université de Pittsburgh, vient d’établir une corrélation entre un excès de télévision et de jeux vidéo à l’adolescence et le développement de symptômes de dépression chez les jeunes adultes.